290 : (JL 1914-1918) une protection

extrait des mémoires de guerre de Jacques Lemerle, 1915


 [...]  La bagarre commence ce matin du 25 sept. 1915, la grande attaque de Champagne qui devait crever le front. Nous avons vu passer dans le petit jour un peloton de hussards chargé de passer les premières lignes dès le début et de faire du désordre sur les arrières ... Ils n'ont pas été loin ... car le débouché des tranchées a été bloqué par un gros fortin en béton hérissé de mitrailleuses tirant dans toutes les directions.


[...] La mort n'a pas voulu de moi ce jour-là, une fois de plus [...] sur le terrain. Des cris "couchez-vous"... Je n'ai pas le temps de réaliser que c'est pour moi... Un tonnerre, une gerbe de feu à 3m, devant moi.. un gros obus vient d'éclater.. Rien.. pas une égratignure.. pas même "choqué". Un miracle.. et c'est tranquillement que je saute dans le boyau où m'attendent mes camarades éberlués...


[...] Un autre jour, quittant un bois où le Capitaine Grandjean a reçu une fusée d'obus dans l'estomac, nous devons aller soutenir l'attaque en cours. Mais la situation est désagréable.. Un violent tir de barrage (on dira plus tard Trommel-Feuer.. Feu d'enfer) a été déclenché par l'ennemi pour bloquer les renforts..  Une épaisse bande de fumée noire dans laquelle les éclatements se succèdent sans arrêt doit être traversée. Je commande une formation par escouades à larges intervalles et au pas de course nous fonçons dans cet enfer. J'ai derrière moi mes hommes de liaison... On ne voit rien dans ce nuage noir... ça claque, ça siffle... et j'en sors... seul ! Ma liaison y est restée, je n'ai pas une égratignure...
Ce qui reste, regroupé, traverse des tranchées remplies de cadavres et nous arrivons sur une crête où l'offensive s'est arrêtée.



[...] Ordre de s'organiser. Il fait chaud [...] des hommes changent de chemise... C'est à ce moment qu'une batterie de 75 qui n'est même pas de notre secteur... nous arrose tuant une quinzaine de mes gars... J'ai du mal à arrêter le tir, puis envoie une violente missive à mon Commandant. Le lendemain relevé par Solacroux avec sa 10°; il doit exécuter une attaque de nuit sur le fameux réseau à contre-pente et s'y fera tuer sans résultat... 3 ou 4 de ses hommes se sont fait tuer en essayant de récupérer son corps et j'ai du le cœur gros donner l'ordre de cesser ces tentatives.. On n'a rien retrouvé de lui par la suite, un violent tir de gros calibre qui a suivi l'ayant certainement déchiqueté. Mon pauvre ami savait comme nous tous que cette attaque était sans possibilité [...]


[...] Ma Cie égaillée dans un petit bois quelque part dans les premières lignes, nous sommes brusquement sous un tir précis et très désagréable de 130 autrichien [...] j'ai de grosses pertes. Dans les trous d'obus, des paquets informes de débris humains sont tout ce qui reste "du Lieutenant X" "de l'Adjudant Y" [...] Profitant d'une l'accalmie j'ai appelé le sergent-major et le fourrier de ma 8° pour mettre ses livres de Cie au point [...] Une mitrailleuse au loin envoie une seule rafale.. Je sens brusquement contre mon épaule droite mon fourrier s'appuyer sur moi. De même à gauche, mon Sergent-major. Étonné je vois leurs têtes balloter. Ils sont morts, une balle de cette damnée mitraillette ayant traversé leurs deux tempes.. Quant à moi je n'ai rien une fois de plus... ils devaient être penchés un peu plus en avant...


[...] Je veux montrer par quelques exemples que j'ai bénéficié certainement d'une protection..


1 commentaire:

visuelepreludes a dit…

une page historique !
mais quelle chance a eu ton Grand-pere !
a suivre ! j'espere !!!