280 : (JL.1914-1918) l'apprentissage des tranchées

extrait des mémoires de guerre de Jacques Lemerle, novembre 1914

[…] Vers Hébuterne le 1˚Novembre je reçois l’ordre, encore avec deux Cies d'aller prendre le Commandement du village où 3 Cie du 18° territorial sont aux prise avec... la Garde, S.V.P... Un grand honneur pour les "Anciens" qui ont tenu le coup mais je suis une fois de plus surpris de recevoir un Commandement qui va m’obliger avec mes deux ficelles de donner des ordres à ... trois Capitaines... Je demande cette fois un ordre de service écrit et pars avec mes 2 Cies. 

[…] en venant renforcer le 18°, je lisais à cheval un courrier de Paris où mon frère me demandait "au cas où je rencontrerai le 18˚ territorial" de me renseigner sur la disparition de son beau-frère Lejoindre tombé au cours d’un combat dans les rangs de ce régiment ! Une troupe de biffins défilant à contre-marche je lis le n˚ I8˚. J’arrête un sous-officier... précisément celui de la section de Lejoindre... Il me raconte le combat, leur retraite sous un feu intense et Lejoindre tombant le nez dans l’herbe. Laissé sur place et recueilli par les Boches mais à son avis tué sur le coup ! Je sais, en effet, que tomber sur le nez sans mettre les mains au sol est un très mauvais signe et ne peux que communiquer ces mauvaises nouvelles à Paris. (Il avait bien été tué et sa veuve tenace a mis des années à retrouver son corps...)

[…] En face de la tranchée où nous avons tiré les bombes "Sébastopol" et à une centaine de mètres en avant une ligne de tranchées avait été abandonnée. Ses talus étaient gênants en cas d’attaque et après avoir vérifié qu'elle était vide, j'ai demandé à mon Commandant l’autorisation de pousser ma ligne en avant et occuper ces tranchées, ce qui me fut accordé sans discussion et fait dans la nuit. Nous avons été stupéfaits et amusés de lire le Communiqué Officiel aux armées se résumant ce jour-là aux deux lignes "Nous avons avancé dans la région d'Hébuterne" Çà alors...

C’est dans ce pays que, le front de bataille s’étant stabilisé, nous ferons notre apprentissage des tranchées, sans nous douter que nous aurions à vivre de si longs mois "dans la glaise"... Ce secteur était très mal dessiné : le village organisé en réduit de défense ou point d’appui était solidement défendu par un réseau dense de tranchées et de boyaux. Puis au delà d'un ravin au S.E. Une ligne de tranchées hâtivement creusée, se terminant dans le vide à la gauche.. Un long et boueux boyau reliant ces positions avancées au village : près d'un Km à faire pour relier.




[…] Cette position est très nettement ce que nous appelons "un arrêt d’offensive" quand pour une raison quelconque, l'infanterie arrête sa progression où elle se trouve mais devrait être rectifiée si l'on veut aménager un secteur fortifié. Oui, mais... à l'idée de faire reculer de 300 mètres la ligne d'infanterie pour la rapprocher du village et lui donner des moyens beaucoup plus efficaces de combat, il ne faudrait pas avoir les E.M. qui nous commandent en ce moment qui n'ont rien compris à la guerre moderne. Il a été reconnu que les Officiers de réserve se sont adaptés plus vite et mieux que ceux de l'active : ils étaient plus réalistes sans idées préconçues...




[…] Pas sympa du tout le secteur. Des niches individuelles dans un semble [?] talus, la toile de tente au dessus, un peu de paille pourrie dans le fond ...
[…] Les cuistots apportent des nourritures froides et gluantes. Le mauvais temps commence : froid, pluie et neige compliquant encore la situation et certains matins, les malades partis au village, il ne reste que de faibles effectifs aux tranchées. Les pieds gelés sont nombreux car souvent dépassant les trous, on les trouve au matin couverts de neige ou gelés.



[…] La densité des malades et peut-être aussi l'impression générale que ça va durer... font qu'on commence à prendre des mesure. Nous recevons du matériel "de siège" Sébastopol toujours... C'est à croire que nos Brevetés ont relu la campagne de Crimée et les détails du siège de la Forteresse russe ... Gabions, fascines, rondins, claies fabriqués par le Génie nous arrivent et avec les conseils de l'Ingénieur Solacroup, nous organisons notre coin, sans être gènés par les Boches qui paraissent faire comme nous... La nuit ont entend leurs corvées de matériaux et leurs travaux...



[…] La nécessité de bien nous installer est d'autant plus urgente qu'on nous laisse quelquefois un mois entier en première ligne. Nous sommes arrivés mon camarade et moi à créer un ensemble relativement confortable. Chambre étanche de section pour les hommes avec panneaux vitrés ; gourbi de rondins et lit de même bien garni de paille, lit sur lequel on s'étend tout équipé, révolver au coté (ça enfonce les côtes quand on se retourne) vitres bien camouflées pour veiller tout en lisant...

[…] Quant au Commandant, il s'était fait aménager pour lui-même et son E.M. de confortables abris en forte tôle couverte de rondins et de terre. Il gardait précieusement à coté de lui les deux mitrailleuses de Bataillon pour sa défense personnelle... Nous ne les avons jamais vu aux lignes où cependant, c'était plutôt leur place. Notre Commandant n'y venait jamais, pas plus que les Officiers des E.M. de Brigade ou de Division...




1 commentaire:

visuelepreludes a dit…

" a la guerre comme a la guerre ! "
et ben quelle histoire !