276 : (JL.1914-1918) la retraite

extrait des mémoires de guerre de Jacques Lemerle, fin août 1914

[...]
Nous embarquons dans la petite gare d'Ancemont, direction inconnue..
Le train roule lentement, s’arrête, repart. La nuit tombe, nous dormons.
C’est au matin, près de Montdidier que nous débarquons pour y apprendre la terrible nouvelle de la défaite de Charleroi et la retraite de l'armée française harcelée par les corps allemands ... Nous venons à la rescousse..! Pour un coup dur c'est un coup dur, car sur notre frontière de l'est nous ne recevions aucune nouvelle ni courrier et pensions que tout allait bien en Belgique..
Nous voici donc en retraite continue sur Paris, sans cependant être engagés. Au loin le canon tonne sans arrêt, mais de l'ennemi nous ne voyons que quelques Taubes qui nous survolent lentement.
Les gens des villages que nous traversons sont angoissés, demandant si l’Allemand est encore loin et nous offrant vivres et boissons.. Plusieur fois nous nous arrêtons sur des positions dominantes pour y établir en vitesse des tranchées que nous occupons dans 1'espoir de servir enfin à quelque chose, mais l'ordre de retraite arrivait avant même d’avoir vu un des nôtres qui nous couvrent en avant.

Catenoy ...la jolie région boisée de Liancourt, Senlis enfin ! où nous semblons nous préparer aux affaires sérieuses.
Je reçois l’ordre de m’étaler le long des bois qui touchent à l'E de la ville, ma gauche appuyée aux maisons. Ce front est si grand que je dois déployer mes 4 sections, un chasseur tous les 2 m... Je réalise très fortement que je ne pourrai résister longtemps à une attaque décidée à passer. Mes hommes placés, je vois maintenant défiler le long des maisons des troupes françaises de toutes armes, puis plus rien.. 
Devant notre bois apparaissent des lignes hésitantes de tirailleurs allemands qui se plaquent au sol à bonne distance se demandant manifestement ce qu'il y a dans ce bois si étrangement silencieux car on ne tire que sur mon ordre.
Un message du Commandant : "Nous retraitons... Tenez votre position jusqu’à 19h30 et rejoignez." Où ? il ne 1e dit pas...
J’ai toujours devant moi mes fantassins allemands. Il est 17h et je me demande comment tenir encore 2h1/2 avec des boches devant et d’autres qui à quelque distance, défilent maintenant dans la ville, succédant aux français. Je ferai de mon mieux et ordonne à tous de rester bien caché et d'observer un silence total.

Les quarts-d’heure sont longs,.. J'entends maintenant des mitrailleuses ennemies tirer à ma droite aux lisières des bois et s'avancer sur mes arrières! Devant, derrière, à d. à g., l'encerclement..
Inquiets, mes camarades officiers viennent à tour de rôle me demander si j’ai l’intention de nous faire prendre! Ma réponse : "Ordre de tenir jusqu’à 19h.30..." J’avoue mon angoisse... mais tiens bon contre la panique qui monte.. parmi mes hommes... et mes gradés.
A l’abri des arbres et des buissons, je peux contacter mes sections que ma présence calme, rassure. Et nous avons toujours nos Boches plaqués devant nous qui ne bougent et ne tirent... Cette lisière silencieuse et menaçante ne leur dit rien qui vaille... Mitrailleuses et canon sont derrière moi... J’ai l'impression d'être dans une nasse quand je donne.. enfin à 19h30 l'ordre de décrocher en silence absolu... Je n’ai jamais vu rassemblement plus rapide!! La Cie en colonne serrée, quelques hommes en avant d‘autres en arrière,je file dans un layon droit au Sud...
Promenade... rapide ! Rien... la Forêt est vide;.... elle semble avoir été négligée, pour poursuivre plus vite l’armée en retraite.. ça tire cependant encore derrière moi, mais quand la nuit tombée je sors des arbres, le feu s’est arrêté.
Toujours personne... Où sont passées les deux armées ? Evitant routes et villages, ma colonne progresse à travers champs, les armes prêtes faisant le moins de bruit possible..
Un cri "Halte là !" Et sans attendre on tire sur nous.. Je crie
"France 69°"... Le tir s’arrête, des appels joyeux... je suis tombé pile sur le village occupé par... mon Bataillon ! Ça alors, comme coup de veine, on ne fait pas mieux.. Quant à ma réputation de Chef de guerre, elle progresse une nouvelle fois.. ce qui me permet de mettre en boite mes Officiers un peu trop nerveux... sur la lisière de Senlis...

Mon Commandant est aux anges d’avoir récupéré sa 8° dont il avait fait le sacrifice... C’est la première fois... mais ce ne sera pas la dernière que cet incident se produira ainsi qu’on le verra par la suite !

Nous sommes en arrière-garde, ce qui explique la nervosité des sentinelles voyant arriver sur elles dans la nuit ce paquet de 200 hommes.. "Essayez de dormir" me dit le Cdt. et couché sur 1a route Nationale un gros pavé sous la tête comme oreiller, je dors comme un loir.... dans ce village de la Chapelle en Serval.
[...]


1 commentaire:

fcbk a dit…

Philippe Brusselairs
Xavi Lemerle
Julien Marlou
Bruno Noël
Paco Lem
Diana Lizz
Antoine Joie

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